VERTÉBRÉS

VERTÉBRÉS
VERTÉBRÉS

Dans le monde animal, les Vertébrés appartiennent au phylum (embranchement) des Cordés caractérisés comme métazoaires, triploblastiques, cœlomates, deutérostomiens à symétrie bilatérale, épineuriens, qui possèdent, à l’état embryonnaire au moins, superposés dans le plan de symétrie bilatérale, des organes dits axiaux: tube nerveux dorsal, corde, tube digestif ventral dont la portion antérieure est élargie en pharynx perforé d’ouvertures latérales.

Les Cordés comprennent les trois sous-embranchements des Urocordés ou Tuniciers, des Céphalocordés et des Vertébrés; ces derniers sont les plus nombreux, avec leurs 40 000 espèces vivantes, environ, contre les quelque 2 000 espèces des deux autres ensembles. Les Vertébrés ne sont pourtant qu’un groupe assez modeste, comparé à celui des Arthropodes (plus d’un million d’espèces).

Le seul nombre ne mesure pas l’intérêt du groupe; l’organisation est d’une tout autre importance et celle des Vertébrés atteint le degré le plus élevé dans le règne animal: la complexité des systèmes organiques, la division du travail, la coordination des fonctions témoignent d’une évolution très poussée. La riche documentation fossile dont on dispose fait en outre des Vertébrés un matériel de choix pour les recherches concernant l’évolution. Parce que bien des Vertébrés ont, pour l’homme, une valeur économique (chasse, pêche, élevage) et parce qu’ils sont plus proches de lui que bien d’autres animaux, ils sont étudiés depuis l’Antiquité.

1. Caractères

Parmi les Cordés, le sous-embranchement des Vertébrés se définit clairement par une série de caractères (fig. 1):

– corps fondamentalement divisé en trois parties au moins: tête, tronc et queue;

– peau constituée d’un épiderme (d’origine ectodermique) pluristratifié (unistratifié chez les Invertébrés) associé à un derme (mésodermique);

– corps soutenu par un squelette interne, cartilagineux ou osseux (l’os est un tissu propre aux Vertébrés);

– appendices pairs et impairs (les Vertébrés sont toujours des animaux mobiles, jamais fixés);

– musculature squelettique, du type strié, très développée (les mouvements, quels qu’ils soient – locomotion, respiration, circulation, digestion –, relèvent d’une activité musculaire; le battement ciliaire n’a qu’un rôle mineur);

– musculature lisse;

– système nerveux «central» constitué d’un axe, le névraxe (divisé en encéphale dans la tête, moelle épinière dans le reste du corps), et de nerfs crâniens et spinaux (fig. 2); systèmes nerveux viscéraux (ou autonomes): para- et orthosympathique; organes sensoriels très diversifiés et élaborés; récepteurs céphaliques pairs: olfactifs (sacs nasaux), optiques (yeux), stato-acoustiques (oreilles internes), récepteurs gustatifs dans la muqueuse buccale et pharyngienne, correspondant à des centres sensoriels encéphaliques; récepteurs cutanés tactiles, thermiques, vibratoires; muscles et tendons munis de récepteurs spéciaux (sensibilité kinesthésique);

– crêtes neurales se détachant de la plaque médullaire au cours du développement et entrant, par de nombreux dérivés, dans la construction du corps;

– cœlome (cavité générale) développé dans le tronc;

– tube digestif toujours pourvu d’une bouche et d’un anus, et divisé, au moins, en intestin céphalique (pharynx) et intestin troncal (la paroi du tube comporte un épithélium interne, endodermique, doublé d’un manchon mésodermique dans lequel se différencient des tuniques musculaires du type lisse – sauf dans le pharynx – qui assurent la progression des aliments par mouvements péristaltiques); glandes digestives nombreuses, logées dans la paroi, ou externes (foie, pancréas); digestion extracellulaire;

– appareil circulatoire clos avec capillaires (pas de circulation lacunaire); un cœur musculeux envoie, par des artères, le sang vers les organes d’où il revient par les veines; cœur embryonnaire à quatre cavités simples; sinus, atrium, ventricule, bulbe, système lymphatique communiquant avec le système sanguin;

– système respiratoire du type branchial ou pulmonaire (seule la construction du poumon est caractéristique des Vertébrés); pigment respiratoire, l’hémoglobine, contenu dans des cellules, les hématies;

– appareil excréteur ou rein, pair, pourvu de conduits évacuateurs, les uretères; l’unité excrétrice est typiquement, dans un rein, le tubule urinaire ou néphron, pourvu d’un filtre sanguin, le corpuscule de Malpighi; au cours de l’ontogenèse se succèdent au moins deux générations d’appareils excréteurs;

– reproduction exclusivement sexuée; sexes séparés; le testicule annexe une portion du rein embryonnaire et son uretère pour constituer son système évacuateur (épididyme et canal déférent);

– glandes endocrines très développées.

Ces caractères présentent, ça et là, des exceptions: les appendices manquent aux Serpents; des Poissons sont normalement hermaphrodites, la parthénogenèse existe chez quelques lézards.

Certaines de ces structures ont, dans l’embryon, une disposition métamérique qui peut être conservée chez l’adulte: vertèbres, musculature pariétale, nerfs crâniens et spinaux, artères issues de l’aorte, ébauches des tubules urinaires; mais les Vertébrés ne sont pas des animaux aussi nettement métamérisés que le sont les Annélides ou les Arthropodes.

Leur taille varie dans de très grandes limites, des 8 à 10 mm du Poisson Téléostéen Pandaka (des eaux douces des Philippines) aux 33 m – et 130 t – du Cétacé Balaenoptera musculus (rorqual bleu). Dans presque toutes les classes de Vertébrés, on trouve des individus dont la taille atteint plusieurs mètres, et cela bien plus fréquemment que chez les Invertébrés, où le maximum semble être atteint par le Céphalopode Architeuthis (un calmar) long de 6-7 m pour le seul corps, de 17 m avec les tentacules étendus.

Comparer, sous le rapport de la taille et du volume, Vertébrés et Invertébrés ne vise pas la vaine recherche de la détention d’un record, mais celle des causes: la réalisation de volumes importants exige une organisation complexe capable d’assurer aux plus profondes des cellules de l’organisme leurs besoins en énergie, l’évacuation de leurs déchets. Dans un même groupe, un gros et un petit Vertébré ont la même organisation générale; la diminution de taille ne s’accompagne pas d’une simplification organique comme cela peut s’observer dans certains groupes d’Invertébrés (exception faite des mâles nains, parasites, de la famille des Cératidés chez les Poissons Téléostéens).

2. Classification

Les Vertébrés, vivants et fossiles, sont répartis entre sept classes: Agnathes (50 espèces), Chondrichthyens (2 000), Ostéichthyens (20 000), Amphibiens (2 500), Reptiles (7 500), Oiseaux (8 500), Mammifères (3 200). Ces nombres, qui concernent les seules espèces vivantes, sont ceux donnés par Mayr (avec une correction toutefois pour les Chondrichthyens); ils n’ont pas tous la même valeur. Ainsi, le monde des Oiseaux étant mieux connu que celui des Poissons, il en résulte que le nombre d’espèces indiqué est plus proche de la réalité pour les premiers que pour les seconds. D’autre part, le traitement de l’espèce n’est pas le même dans les deux cas, le concept d’espèce polytypique étant appliqué aux Oiseaux et celui d’espèce typologique (ou monotypique) aux Poissons. Or, une espèce polytypique regroupe plusieurs formes qui seraient considérées comme espèces distinctes dans la définition typologique; c’est pourquoi les 8 500 espèces polytypiques d’Oiseaux représentent au moins 30 000 espèces typologiques.

La classification des Vertébrés, d’abord établie d’après les formes vivantes, fut ensuite perfectionnée par la prise en considération des fossiles. En gros, la séparation des classes peut s’appuyer sur ces caractères:

– la structure du squelette viscéral distingue les Agnathes, sans mâchoires, de tous les autres Vertébrés, ou Gnathostomes, pourvus de mâchoires mobiles à soutien squelettique;

– parmi les Gnathostomes, la nature des membres pairs sépare les «Poissons», à nageoires, des Tétrapodes, à membres du type pentadactyle. Les Poissons sont subdivisés en Chondrichthyens, à squelette purement cartilagineux, et Osteichthyens, osseux (du cartilage persiste chez l’adulte).

– l’œuf au cours de son développement peut former des annexes extra-embryonnaires, ammios, allantoïde, etc., abandonnées à l’éclosion. Cela distingue l’état anamniote des Agnathes, des Poissons et des Amphibiens de l’état amniote des Reptiles, des Oiseaux et des Mammifères;

– la nature de l’articulation de la mandibule sur le crâne sépare ensuite les Mammifères (où elle se fait entre dentaire et squamosal) de tous les autres Vertébrés gnathostomes (où elle joue entre l’articulaire et le carré);

– Amphibiens et Mammifères étant définis, ce qui reste des Tétrapodes peut être partagé en Reptiles et Oiseaux, par de nombreux caractères: ainsi, les premiers ont deux crosses aortiques chez l’adulte, les seconds une seule.

On a mis de l’ordre dans les Vertébrés, mais a-t-on établi une classification dite naturelle dans laquelle les ensembles (ici des classes) regroupent bien des êtres qui ont entre eux des points communs, des affinités, et ceux-là seuls, ou bien n’est-il question que d’un système, purement artificiel, de rangement dans des tiroirs? À première vue, la classification telle qu’on vient de la réaliser peut sembler arbitraire tant par le choix des caractères que par la séquence de leur utilisation. Force est donc d’examiner la validité des classes, c’est-à-dire d’évaluer, d’une part, leur degré d’homogénéité et de les confronter, d’autre part, avec les stades de la réalisation des Vertébrés, pour connaître si ces classes décrivent bien les étapes de l’évolution du phylum, ce qui est le but de toute classification.

Mammifères et Oiseaux sont chacun des groupements (taxons) bien définis par un impressionnant ensemble de caractères. Ces taxons sont homogènes si l’on se cantonne, pour les Mammifères, aux animaux vivants et aux fossiles du Tertiaire et d’une grande partie du Secondaire. À l’autre extrémité du phylum, en est-il de même pour ce qu’on appelle communément Poissons? Jusque vers les années vingt, l’appellation de Poissons s’appliquait, peut-on dire, à tout ce qui n’était pas Tétrapode: Lamproies, Poissons cartilagineux (requins, raies), Poissons cuirassés du Primaire, Poissons osseux (Actinoptérygiens, Crossoptérygiens, Dipneustes). Les travaux de E. Stensiö (1925) sur des fossiles du Primaire conduisirent à individualiser une classe des Agnathes (ou Cyclostomes), la plus ancienne, la plus primitive dans l’évolution des Vertébrés, classe dans laquelle sont incluses les actuelles lamproies et myxines. Les travaux de R. Jordan, de T. Regan et d’autres auteurs, en soulignant les multiples originalités des Poissons cartilagineux, ont fait élever ceux-ci au rang d’une classe, celle des Chondrichthyens. Ce qui reste, un nombre énorme d’espèces, est pour le moment qualifié de classe ou de superclasse des Ostéichthyens (Poissons osseux), ensemble disparate en dépit de l’existence d’incontestables caractères communs, et qui se subdivise en Actinoptérygiens, Dipneustes et Crossoptérygiens.

Les Actinoptérygiens comprennent les Chondrostéens (esturgeons), les Holostéens (Amia ) et les Téléostéens (la quasi-totalité des Poissons osseux vivants); la documentation paléontologique, assez bonne, montre que les Actinoptérygiens correspondent à une séquence évolutive et de ce fait représentent un ensemble cohérent (naturel).

Les Dipneustes et Crossoptérygiens n’ont que bien peu à voir avec les précédents et même entre eux. Dans l’état actuel de notre information, ils apparaissent à la base du Dévonien (il y a environ 400 millions d’années) comme deux lignées bien séparées, à évolutions très dissemblables; groupe conservateur, les Dipneustes ont déjà fixé le faciès des formes actuelles dans les débuts du Secondaire – bel exemple d’évolution ultra-ralentie ou bradytélique. Les Crossoptérygiens Rhipidistides, à radiation évolutive assez pauvre, à vie «courte», puisqu’ils disparaissent avant la fin du Primaire, sont par contre «doués» d’un potentiel évolutif remarquable et réalisent l’un des événements majeurs de l’histoire des Vertébrés, le passage aux Tétrapodes. Mais que représentent les Placodermes? Tout cela montre l’hétérogénéité du monde des Ostéichthyens et donc l’incertitude de son statut présent.

Amphibiens et Reptiles furent, jusqu’au milieu du XIXe siècle, confondus dans une même classe, de Reptiles ou d’Amphibiens, selon les auteurs. La séparation est maintenant acquise, mais les Amphibiens posent encore des problèmes: une diagnose des seules formes vivantes ne met en œuvre qu’un faible nombre de caractères communs. D’autre part, ces êtres du Primaire et du début du Secondaire, les Labyrinthodontes, qui sont rangés parmi les Amphibiens, ne sont définis que par leurs seuls caractères squelettiques: or aucun de ces caractères ne se retrouve dans les ordres «modernes», Urodèles, Anoures et Apodes.

Les Urodèles apparaissent au Crétacé (135 millions d’années) et les Anoures au Trias (200 Ma), mais les documents connus ne permettent pas d’établir de liaison avec des groupes de Labyrinthodontes (l’histoire des Apodes est inconnue). Par leurs caractères morphologiques et fonctionnels, les trois groupes modernes se situent au bas de l’échelle des Tétrapodes; dans l’histoire des Vertébrés, les Labyrinthodontes unissent les Ostéichthyens aux Tétrapodes. C’est sur cette seule similitude de position que l’on groupe tout ce monde dans une même classe des Amphibiens.

Les Reptiles sont mieux définis que les Amphibiens et des caractères communs unissent les vivants aux fossiles. Pour beaucoup d’ordres, actuels ou disparus, l’histoire est connue, mais l’origine et les affinités des Tortues restent mystérieuses, comme le demeurent aussi celles des Ichthyosaures du Secondaire, par exemple. Toutefois, aujourd’hui, la validité de cette classe est discutée.

3. Histoire

Énumérer des caractères ne suffit pas; il faut analyser leur signification dans la construction animale, et pour cela, dans la mesure du possible, tenter de retracer les étapes de leur évolution. Les plus anciennes traces d’êtres vivants jusqu’ici découvertes remontent à 3,2 milliards d’années (avec Eobacterium de la formation de Fig-Tree en Afrique du Sud). Par rapport à cet ancêtre, vertigineusement vieux, les Vertébrés sont des tard-venus: des débris osseux d’un Agnathe (?) Anatolepis ont été décrits du Cambrien supérieur (500 Ma) du Wyoming (États-Unis), mais les premiers Vertébrés incontestables sont des Agnathes de l’Ordovicien moyen (de la formation de Harding en Amérique du Nord, 450 Ma). Au Silurien-Dévonien, ce groupe se diversifie, médiocrement. Au cours du Silurien apparaissent les premiers Gnathostomes, des Poissons (Acanthodiens) qui, dans la suite des temps, réaliseront de nombreuses et riches diversifications (ou radiations évolutives). Du sommet du Dévonien (350 Ma) on connaît les premiers Vertébrés terrestres (ou qui essayent de l’être), les Amphibiens Labyrinthodontes. Des Amphibiens, à la fin du Carbonifère, se détache, de façon discrète à ses débuts, la classe des Reptiles.

Le Primaire est donc la grande époque de formation des classes de Vertébrés; deux seulement manquent encore à l’appel, les Mammifères et les Oiseaux dont l’origine est reportée au Secondaire, au sommet du Trias (200 Ma) et du Jurassique (130 Ma), respectivement. L’élaboration de nouveaux plans structuraux est alors terminée, mais un événement évolutif majeur, aussi important que l’apparition d’une classe, s’amorça il y quelque 3 millions d’années (selon les dernières découvertes faites en Éthiopie) au sein de la classe des Mammifères avec l’apparition de l’homme, qui, lentement, puis de plus en plus vite, entra en compétition avec les autres animaux et imposa un aspect nouveau au monde vivant.

La correspondance est bonne entre la classification établie plus haut, d’une part, et l’ordre d’apparition, les liaisons historiques que révèle la paléontologie, d’autre part. La classification proposée peut être considérée comme valable. La richesse même de la documentation paléontologique permet de conférer ce brevet de validité aux divisions taxinomiques, mais dans le même temps, paradoxalement, cette documentation conduit à une remise en cause de la signification de ces divisions: l’origine des Mammifères à partir des Reptiles en fournit la preuve.

4. Validité de la classification

Délimiter une classe par un seul caractère comme on l’a fait est un moyen commode, abrégé, mais la véritable définition ou la diagnose font appel au plus grand nombre possible de caractères; sous ce rapport, les Mammifères sont favorisés puisque chez eux on trouve ces caractères, qui n’ont d’ailleurs pas tous le même pouvoir de décision, par dizaines, Ainsi:

– les glandes lactéales, l’articulation mandibulaire, le diaphragme existent chez tous les Mammifères sans exception et chez eux seuls;

– les poils, la différenciation des dents, en incisives, canines, dents jugales, se trouvent aussi chez les seuls Mammifères, mais pas chez tous;

– le palais osseux secondaire (dans le crâne) ne manque à aucun Mammifère mais est présent aussi chez les Crocodiles (où il a seulement la valeur d’un caractère d’ordre). Peut-on alors se demander si tel caractère est plus mammalien qu’un autre? La question paraît n’avoir guère de sens, et pourtant elle se présente assez souvent dans la pratique: si un animal ne présente pas tous les caractères de la classe (définis, on le rappelle, sur les formes vivantes), quel nombre limite, minimal, doit-il en posséder pour être encore un Mammifère? C’est la question que posent les formes fossiles, intermédiaires, dans la série menant des Reptiles aux Mammifères.

Le squelette apporte une quantité considérable d’informations: d’abord sur l’allure générale de son propriétaire et, partant, sur certains éléments de son activité vitale (la présence de dents est très significative); les traces d’insertions, musculaires ou tendineuses, permettent une reconstruction, partielle, de la musculature; le modelé intérieur de la boîte crânienne restitue, par moulage, l’aspect externe de l’encéphale puisqu’il remplit exactement cette boîte (comme il le fait aussi chez les Oiseaux); chez certains des êtres de la série reptilio-mammalienne, au Trias, des orifices pour le passage de nerfs et vaisseaux, des dépressions sur certains os crâniens font soupçonner l’existence d’une musculature faciale, de glandes cutanées, peut-être même de poils, tous bons caractères exclusivement mammaliens qui s’ajoutent à ceux de la construction générale du crâne; la mandibule est en train de changer de type d’articulation; le contour de la cage thoracique suggère l’existence d’un diaphragme et donc l’apparition d’un mécanisme respiratoire mammalien. Allant plus loin encore dans la déduction grâce à d’autres indices, on vient à penser que l’homéothermie s’établissait. Que sont alors ces êtres? des intermédiaires normaux d’une évolution d’une classe vers une autre; mais où les placer, encore chez les Reptiles ou déjà chez les Mammifères? La question, chaudement discutée, n’a pas de solution. Dans le flux continu d’une évolution, il ne peut y avoir de barrière séparant une classe d’une autre, donc ces êtres mosaïques ne peuvent trouver une place satisfaisante dans les cadres de divisions taxinomiques établies à l’origine dans une optique fixiste (classification linnéenne); c’est seulement parce que ces formes de passage ont disparu que Reptiles et Mammifères sont maintenant bien séparés et, par là, bien définis.

Ce problème d’insertion de formes intermédiaires doit nécessairement se retrouver à tous les niveaux parmi les Vertébrés, mais jamais il n’est fondé sur une documentation aussi riche que celle de l’histoire des Mammifères. Poussant plus loin encore, on arriverait à la question de l’origine même des Vertébrés: à partir de quelle organisation structurale des animaux ont-ils cessé d’être des Invertébrés pour devenir les premiers Vertébrés? Les problèmes de systématique ne sont pas aussi simples qu’ils le paraissent.

5. Origine des vertébrés

L’homme étant un Vertébré, il est naturel que la place de ce groupe zoologique dans la généalogie des êtres vivants ait suscité un intérêt particulier dès l’aube de la pensée évolutionniste. Il a d’abord été proposé que les Vertébrés étaient apparentés ou descendaient des Annélides (vers annelés) ou des Arthropodes (insectes, crustacés et arachnides), en raison de leur structure segmentaire, ou métamérique (J.-B. Lamarck, 1809; É. Geoffroy Saint-Hilaire, 1818). Certains ont aussi évoqué une parenté entre Vertébrés et Mollusques, en raison de quelques ressemblances anatomiques (en particulier la structure de l’œil), que l’on sait maintenant être apparues par convergence. Cependant, dès la fin du XIXe et le début du XXe siècle, les progrès de la connaissance du développement embryonnaire des animaux pluricellulaires (ou Métazoaires) ont conduit à rejeter ces théories. Il devenait alors clair que, par leur mode de développement dit deutérostome (la bouche se formant après l’anus) et le clivage radiaire de l’œuf, les Vertébrés s’apparentaient plutôt aux Échinodermes (oursins, étoiles de mer) et à quelques autres groupes, comme les Brachiopodes, les Entéropneustes et les Tuniciers. C’est pour cette raison que K. Grobben, en 1908, a inclus les Métazoaires, montrant ce type de développement dans le groupe des Deutérostomes. Par ailleurs, la découverte d’une notochorde (organe de soutien axial, précurseur de la colonne vertébrale) surmontée par le système nerveux central chez les larves de Tuniciers (A. Kowalevsky, 1867) et chez les Céphalochordés a permis de définir le groupe des Chordés, dans lequel sont désormais inclus les Vertébrés. Au cours de ces dernières années, les principaux progrès relatifs aux relations de parenté et à l’émergence des Vertébrés sont venus de quatre disciplines différentes: la morphologie, la phylogénie moléculaire, la génétique du développement et la paléontologie.

Morphologie

Jadis, et jusque dans les années 1960, les classifications étaient fondées sur la ressemblance globale, et beaucoup de groupes zoologiques dits primitifs étaient constitués sur la base de caractères généraux présents également dans d’autres groupes, mais sous une forme modifiée. Puis un arbre évolutif était construit à partir de cette classification, montrant les groupes «primitifs» en position de souche des groupes plus spécialisés. Avec l’analyse cladistique, la construction d’un arbre phylogénétique précède la classification et se fait sur la base de la distribution la plus parcimonieuse possible des caractères partagés (c’est-à-dire impliquant le moins de convergences entre deux états évolués d’un caractère ou de réversions d’un état évolué vers un état primitif). Cela conduit à établir une classification qui reflète strictement les relations de parenté et qui n’est constituée que de groupes monophylétiques (c’est-à-dire comprenant un ancêtre commun à tous ses descendants sans exception).

Phylogénie moléculaire

Les séquences des acides aminés ou des nucléotides de certaines protéines et des acides nucléiques (ARN, ADN) peuvent être alignées et comparées, de la même manière que les caractères morphologiques. Là aussi, des méthodes dérivées de l’analyse cladistique (algorithmes de parcimonie) ont permis la construction d’arbres phylogénétiques, et cette nouvelle source de données est un appoint considérable dans la construction des phylogénies. Dans l’ensemble, et lorsqu’une méthodologie commune est utilisée, les données tirées des séquences moléculaires sont globalement concordantes avec les arbres construits à partir des données morphologiques. Cependant, ces données moléculaires se heurtent aux mêmes obstacles que les données morphologiques. En effet, la plupart des groupes de Deutérostomes ont divergé il y a au moins 500 millions d’années (Ma) et, dans certains cas, 600 Ma. Depuis leur divergence, certaines de leurs structures anatomiques ont été profondément modifiées, au point que leur homologie avec celles d’autres groupes n’est plus reconnaissable. Il en est de même pour certaines régions des séquences moléculaires, où des mutations successives ont «surimprimé» une information qui déroute l’analyste. D’autres régions, en revanche, sont beaucoup plus conservatrices et servent de points de repère pour l’alignement des séquences, mais elles n’apportent que peu d’informations phylogénétiques car elles sont conservées de la bactérie à l’homme. C’est donc en combinant l’analyse des caractères morphologiques et moléculaires, dans un schéma d’argumentation commun, que l’on donne le plus de poids à la construction des arbres phylogénétiques (J. Turbeville et al., 1994).

Génétique du développement

Les progrès les plus spectaculaires viennent sans doute de la génétique du développement. Le contrôle de la construction des organismes est assuré par l’interaction d’un ensemble de gènes dont les plus connus sont les gènes homéotiques. Ces derniers interviennent en particulier dans la régulation des structures métamériques (réparties dans des segments successifs). Ces gènes sont largement distribués chez les Métazoaires et se retrouvent aussi bien chez des insectes que chez des Vertébrés. Parmi les Deutérostomes, ils ont surtout été étudiés chez les Chordés, les Entéropneustes et les Échinodermes. On a découvert que les gènes homéotiques, qui contrôlent le développement de la partie antérieure du système nerveux central des Céphalochordés, sont les mêmes que ceux qui contrôlent la formation des trois régions postérieures du cerveau des Vertébrés. On pense également qu’un grand nombre des particularités anatomiques des Vertébrés sont le fait d’une duplication de gènes déjà présents chez les Céphalochordés et les Tuniciers (P. W. H. Holland et J. Garcia-Fernandez, 1996).

Les Vertébrés possèdent un très grand nombre de caractères uniques qui témoignent de leur monophylie. L’un des plus importants est la crête neurale. La crête neurale est un épaississement du feuillet embryonnaire externe, ou ectoderme, qui survient au cours du développement, de part et d’autre de l’ébauche du système nerveux central (moelle épinière et cerveau). De cet épaississement sont issues des cellules qui, peu à peu, migrent ventralement et se mêlent au mésoderme pour donner l’ectomésoderme (ou ectomésenchyme), tissu embryonnaire qui donnera naissance notamment au squelette branchial, à l’exosquelette (dents, écailles, os dermique), aux cellules pigmentaires et aux ganglions des nerfs sensoriels. L’apparition de la crête neurale est, sur le plan de l’évolution, l’une des plus grandes énigmes de l’histoire des Chordés. Les tissus qui en sont issus contribuent tous à augmenter les performances et la protection des Vertébrés. En fait, la crête neurale fonctionne comme une source supplémentaire de cellules embryonnaires polyvalentes qui, en s’associant à d’autres tissus, ont permis l’apparition de structures particulièrement avantageuses (B. K. Hall, 1992). Le contrôle génétique de la crête neurale est lié à celui du système nerveux central, mais ses modalités précises sont encore l’objet de recherches.

La paléontologie

L’apport de la paléontologie à la connaissance de l’origine des Chordés et de l’aube des Vertébrés est limité par la rareté des fossiles aussi anciens et surtout par les conditions de conservation d’organismes qui ne possèdent pas toujours un squelette minéralisé. Quelques fossiles datant du début de l’ère primaire ont été considérés comme des Chordés primitifs et rapprochés soit des Céphalochordés, soit des Vertébrés (ou Craniates). Par exemple, Pikaia des Schistes de Burgess (Cambrien du Canada) rappelle vaguement un Céphalochordé, mais aurait possédé des yeux (E. Insom et al., 1995). Le paléontologue britannique R. P. S. Jefferies (1986) a aussi suggéré que les Tuniciers, les Céphalochordés et les Vertébrés s’enracinaient dans un ensemble d’étranges organismes du Primaire (les «Calcichordés»), que la plupart des paléontologues considèrent comme des Échinodermes très spécialisés (K. Peterson, 1995). Force est de reconnaître que, faute d’un squelette minéralisé – qui aurait donc été conservé – l’apport paléontologique à la connaissance de la phylogénie des Chordés est pratiquement nul pour le moment.

Les plus anciens restes de Vertébrés connus datent du début de l’Ordovicien, soit d’environ 470 Ma (P. Forey et P. Janvier, 1994). La simple présence de fragments d’exosquelette constitués d’os et de dentine témoigne donc de l’existence, dès cette époque, de la crête neurale, principal caractère des Vertébrés. Les Gnathostomes, ou Vertébrés à mâchoires, sont connus dès le début du Silurien (env. 430 Ma) et peut-être même depuis la fin de l’Ordovicien (env. 440 Ma), mais les plus anciennes Myxines et Lamproies (fig. 2) ne sont connues que dans le Carbonifère supérieur, il y a 340 Ma environ (D. Bardack, 1991). Cette discordance entre les relations de parenté établies sur la base des organismes actuels et la répartition des groupes dans les couches géologiques s’explique par le fait que Myxines et Lamproies, n’ayant pas de squelette minéralisé, n’ont été conservées que dans des conditions de fossilisation exceptionnelles (dépôts anoxiques). La phylogénie, quant à elle, prédit l’existence de Lamproies et de Myxines au moins aussi anciennes que les premiers Gnathostomes, soit dès le début du Silurien.

Dans les terrains datant du milieu du Primaire (Ordovicien à Dévonien, soit de de 470 à 370 Ma), on connaît plusieurs groupes de Vertébrés fossiles pourvus d’un squelette minéralisé, mais dépourvus de mâchoires. Ces groupes, jadis appelés «Ostracodermes», sont les Arandaspides, Astraspides, Hétérostracés, Anaspides, Galéaspides, Pituriaspides, Ostéostracés et «Thélodontes». Pendant longtemps, ces groupes éteints avaient été classés avec les Myxines et les Lamproies dans les «Agnathes» en raison de leur absence de mâchoires, et l’on avait même supposé que Myxines et Lamproies étaient les descendants directs de certains d’entre eux, qui auraient progressivement perdu le squelette minéralisé par «dégénérescence». Les récentes analyses cladistiques des caractères morphologiques de ces Vertébrés fossiles suggèrent plutôt que tous sont de plus proches parents des Gnathostomes que des Lamproies ou des Myxines (P. Y. Gagnier, 1993, P. Forey et P. Janvier, 1994). Outre plusieurs caractères de leur anatomie interne, ils partagent avec les Gnathostomes la présence d’un exosquelette minéralisé (os dermique), dont nous n’avons aucune preuve que les Myxines et les Lamproies en aient jamais possédé. En somme, les plus anciens Vertébrés connus à l’état fossile nous renseignent plus sur l’origine des Gnathostomes que sur l’origine des Vertébrés. Les «Thélodontes», dont le squelette dermique est entièrement constitué de petites écailles à structure très simple, pourraient être la souche d’où sont issus tous les autres groupes de Vertébrés pourvus d’un squelette dermique.

Enfin, la découverte de fossiles complets de Conodontes (R. J. Aldridge et al., 1993; P. Janvier, 1995), groupe éteint et longtemps connu seulement par des denticules isolés, suggère qu’il s’agit soit de Vertébrés, soit de proches parents des Vertébrés ayant conservé une morphologie voisine de celle des Céphalochordés.

6. Lignes directrices de l’évolution

La réussite évolutive des classes est fort variable. Celle des Agnathes est des plus modestes; les Ostéichthyens, par contre, ont été, sont encore un ensemble florissant qui a su exploiter au maximum, semble-t-il, les nombreuses possibilités de vie offertes par les eaux. Sans concurrents tétrapodes à leurs débuts, les Amphibiens n’ont réalisé pourtant qu’une diversification évolutive monotone. Rapidement (géologiquement parlant), ils se sont fait dominer, non éliminer, par les Reptiles, et c’est seulement vers la fin du Trias (200 Ma), lors de ce qu’on appelle la «petite extinction», que les Labyrinthodontes disparaissent avec une grande partie de la faune reptilienne. Dès le Permien (environ 280 Ma), les Reptiles établissent leur domination, quasi absolue, sur le monde des Tétrapodes et la maintiennent durant tout le Secondaire. Au cours de cet interminable règne (près de 200 Ma), ils occupent une multitude de biotopes interdits aux Amphibiens, sur terre, dans les eaux (marines en particulier), dans les airs. Pour des raisons parfaitement mystérieuses, la «grande extinction» de la fin du Crétacé (autour de 70-65 Ma) fauche des groupes entiers parmi les plus florissants et ne laisse qu’un échantillonnage restreint; malgré leurs 7 500 espèces, les Reptiles vivants ne sont qu’un pauvre reste de ce qu’ils furent.

Avec la base du Tertiaire, au Paléocène (65 Ma), les Mammifères, jusqu’alors effacés, partent à la conquête de tous les biotopes, ou presque tous, précédemment occupés par les Reptiles, et, avec les Oiseaux, étendent l’occupation tétrapode jusque dans les régions circumpolaires. La radiation adaptative des Oiseaux, importante elle aussi, reste, dans son organisation structurale au moins, contenue dans de plus étroites limites que celle des Mammifères, cela comme conséquence des très strictes sujétions de la locomotion aérienne.

Ces radiations adaptatives, médiocres ou magnifiques, ces cycles d’ascension-dominance-déclin, relèvent de causes qu’il faut maintenant découvrir. L’analyse de quelques fonctionnements des Vertébrés en révèle ou en fait soupçonner quelques-unes.

Il y a des centaines de millions d’années, à une époque non encore précisée, parmi les multiples voies évolutives du monde dit des Invertébrés, l’une de ces voies s’ouvrit qui devait conduire vers les Cordés, puis vers les Vertébrés, dont les premiers représentants sont vraisemblablement apparus en milieu marin. On ne dispose pas des fossiles de cette histoire. Force est donc d’utiliser, avec les précautions qui s’imposent, les seules formes vivantes et, tirant d’elles le maximum d’information par l’anatomie et l’embryologie surtout, mais plus récemment aussi par la biochimie, d’aller à la découverte de quelques-uns des fils conducteurs de cette évolution cordée.

Les indications portant sur les tout premiers débuts sont trop ténues pour conduire à autre chose qu’à de la science-fiction: la considération de quelques formes larvaires fait assigner par certains auteurs une origine commune aux Cordés et aux Échinodermes (!). Pourtant la lacune demeure immense entre les ultra-ancêtres et les Cordés, et c’est à l’intérieur de ces derniers qu’on limitera la recherche en utilisant ces structures typiques que sont les organes axiaux.

Le pharynx

Dilatation antérieure du tube digestif, le pharynx n’est pas rare chez les Invertébrés, mais celui des Cordés se caractérise par la percée, de chaque côté, d’ouvertures viscérales. Les battements ciliaires de l’épithélium pharyngien créent un courant d’eau qui, entrant par la bouche et s’échappant par les ouvertures, apporte l’oxygène pour la respiration et des particules pour la nutrition, dite microphagique. Dans la paroi du pharynx, entre les ouvertures, se développe un réseau sanguin au niveau duquel s’accomplit l’hématose; sur le plancher s’organise une structure ciliée, sécrétrice d’un mucus qui agglutine les particules en cordon alimentaire, l’endostyle, rencontré chez les Urocordés, les Céphalocordés et, parmi les Vertébrés, chez le seul Ammocète, larve des lamproies. Les Vertébrés modifient ce pharynx ancestral: ils remplacent le battement ciliaire par la contraction musculaire, développent des branchies lamellaires au niveau des ouvertures viscérales et soutiennent la paroi pharyngienne, entre les poches, par des arcs squelettiques dont l’ensemble constitue le squelette viscéral ou splanchnocrâne. Chez les premiers des Vertébrés, les Agnathes, tous ces arcs ont même structure et même fonction, et le pharynx des formes du Primaire exerçait très vraisemblablement sa double activité, respiratoire et nutritive encore préservée dans la larve de lamproie.

Avec l’étape ultérieure, celle des Gnathostomes, un arc du splanchnocrâne (le premier ou le second dans la série) se transforme en mâchoires mobiles, simplement préhensiles à l’origine (la mastication des aliments n’interviendra qu’avec les Mammifères). Elles permettent de capturer et de déchiqueter des proies volumineuses. Ce passage de la microphagie à la macrophagie a pour corollaires: 1. la disparition de la fonction nutritive du pharynx et la diminution relative de son volume par rapport à celui du corps, puisque la pompe n’a plus à faire circuler autant de litres d’eau que lorsqu’elle servait à collecter les particules alimentaires; 2. la possibilité d’augmentation de la taille: les Agnathes ne dépassent pas 1 mètre, les Gnathostomes ne sont pas tous plus grands que les Agnathes mais peuvent le devenir; 3. l’impulsion évolutive; est-elle en relation causale avec l’acquisition de l’état gnathostome? On l’ignore, mais il est de fait qu’à côté de l’humble radiation évolutive des Agnathes celles des autres Vertébrés sont fastueuses. La conquête du milieu terrestre fait perdre au pharynx sa seconde fonction, respiratoire, et le poumon, autre dérivé du tube digestif, le remplace. Chez les embryons persiste une ébauche pharyngienne pourvue de poches viscérales, ouvertes ou non, mais cette ébauche ne se développe plus chez l’adulte où elle ne forme qu’une portion minime de la cavité buccale. Ce maintien du pharynx après la disparition de ses fonctions primaires, principales, tient à ce qu’il engendre aussi le thymus, la thyroïde et, irrégulièrement, les corpuscules ultimo-branchiaux; le cou des Amniotes s’étire sur son emplacement.

Durant l’évolution pharyngienne, le splanchnocrâne se modifie radicalement. L’arc mandibulaire persiste, mais comme ébauche embryonnaire sur laquelle se plaque une mâchoire secondaire, osseuse, fonctionnelle dès les Ostéichthyens; à partir des premiers Tétrapodes, l’arc suivant, hyoïdien, fournit à l’oreille moyenne la columelle, tige squelettique, conductrice des sons; les arcs posthyoïdiens (branchiaux des Poissons) se réduisent, s’associent, se remodèlent et, comme squelette dit hyoïdien (terme ambigu), participent au soutien de la langue et de la trachée. Avec les Mammifères, des composants de l’arc mandibulaire passeront au service de l’oreille moyenne.

La corde

La corde, second organe caractéristique, subit une évolution assez simple: volumineuse, élastique, chez les adultes des Agnathes et de certains Ostéichtyens aussi, elle assure le soutien du corps; à partir des Gnathostomes, elle n’est plus qu’un axe embryonnaire le long duquel s’édifient les vertèbres qui la supplantent dans son rôle de poutre. Tige grêle chez l’embryon des Amniotes, elle ne peut même plus alors prétendre à ce rôle transitoire de support embryonnaire et sa persistance tient à ce qu’elle conserve une double fonction inductrice: dans la gastrula, comme l’élément du complexe de la voûte archentérique responsable de la différenciation du tube nerveux; plus tard, dans l’organisation du mésenchyme squelettogène vertébral [cf. VERTÉBRÉS].

Le tube nerveux

Le tube nerveux (celui du têtard d’Ascidie, celui de l’Amphioxus) atteint, avec les Vertébrés, sa complexité maximale liée aux processus de céphalisation (processus qui se réalise dans d’autres embranchements). La concentration des organes sensoriels à une extrémité du corps s’accompagne de l’hypertrophie du tube en encéphale divisé en cinq vésicules (ou étapes) embryonnaires. Autour du complexe encéphale-organes sensoriels, le neurocrâne, second constituant du crâne, s’organise.

Dans l’encéphale, les corps des cellules nerveuses, qui donnent la substance grise, ne se répartissent pas en colonnes continues comme dans la moelle, mais se concentrent en noyaux, sensitifs, moteurs, coordinateurs, etc., reliés par des faisceaux de fibres nerveuses (tractus) qui constituent la substance blanche.

L’évolution de l’encéphale est trop complexe pour que les grandes lignes en soient mentionnées, à l’exception peut-être du processus de subordination (ou de centralisation).

Chez les plus primitifs, telle la lamproie, la moelle épinière n’étant liée à l’encéphale que par un petit nombre de tractus possède, semble-t-il, une grande autonomie fonctionnelle. Dans les groupes de plus en plus évolués, ces tractus augmentent progressivement en nombre, ce qui traduit une emprise croissante du contrôle encéphalique sur les activités de la moelle dont, corrélativement, l’autonomie se restreint. Avec les Mammifères, cette subordination atteint l’encéphale lui-même dont les étages passent, en grande partie, sous le contrôle du plus antérieur d’entre eux, le télencéphale (hémisphères cérébraux) qui devient le «cerveau du cerveau». La réalisation de ce contrôle s’accompagne du développement d’un réseau de noyaux et tractus nouveaux reliant les étages posttélencéphaliques aux hémisphères. Dans ces derniers se développe à côté du cerveau primaire, commun à tous les Vertébrés, un néotélencéphale (néocortex, néopallium) qui finit par constituer la majeure partie des masses hémisphériques comme cela s’observe, à son terme extrême, chez l’homme.

L’appareil locomoteur

Les Urocordés, après une phase larvaire nageuse, se fixent, alors que les Céphalocordés n’exploitent guère leurs possibilités de déplacement et que les Vertébrés les amplifient, de l’embryon à l’adulte. La formation d’appendices pairs (impairs aussi chez les Agnathes et Poissons) à soutien squelettique (squelette appendiculaire), le développement d’une musculature dans les appendices, dans les parois du corps (musculature pariétale) et le long de la colonne vertébrale témoignent de ce rôle essentiel pris par la motricité dans la vie des Vertébrés, et, à ce propos, on peut introduire la notion de dualisme viscéral-somatique. La portion viscérale d’un animal regroupe tous ces systèmes affectés à l’extraction puis à la mise en œuvre de l’énergie: appareils digestif, respiratoire, circulatoire, excréteur. Ceux des organes qui permettent à l’animal de parcourir le monde, de le connaître, d’y récolter la nourriture, etc., c’est-à-dire le système musculaire, le système nerveux central, les organes des sens, constituent la portion somatique. Chez les Cordés tout à fait inférieurs, le système viscéral prédomine: l’Ascidie adulte, fixée, n’est qu’un filtre (digestif-respiratoire) avec des gonades; le système somatique est insignifiant. Le déséquilibre était moins accentué chez la larve, nageuse, puisqu’elle possédait, avec un tube nerveux, deux organes des sens et des bandes musculaires. l’Amphioxus est mieux équipé, somatiquement, avec son impressionnante musculature pariétale et son tube nerveux (sans encéphale); pourtant son pharynx est énorme par rapport au volume du corps, et, si l’animal n’est pas fixé, il est sédentaire. Les Vertébrés, dès les plus primitifs, réalisent d’emblée, avec le développement de l’encéphale, des organes des sens, de la musculature, un équilibre somato-viscéral qui est une des caractéristiques de l’évolution du groupe.

Les appareils circulatoire et respiratoire

L’appareil circulatoire n’a guère laissé de documents sur les fossiles; les formes actuelles, seules, peuvent servir. Le circuit sanguin est, à son départ, en vie aquatique, de plan assez simple; un cœur, à quatre cavités successives communicantes, reçoit par les grands collecteurs (veines sus-hépatiques, canaux de Cuvier) le sang réduit venu des organes, le propulse vers les branchies où il s’hématose, puis le distribue au corps par les artères et les capillaires. L’avènement de la respiration pulmonaire bouscule la simplicité première: les poumons ne s’intercalent pas en série sur le circuit général mais en dérivation, directement sur le cœur, par un circuit propre, la petite circulation. Les deux systèmes d’hématose, branchiale et pulmonaire, coexistent chez les Dipneustes, Poissons à poumons; il devait en être de même pour les Crossoptérygiens Rhipidistides. Chez tous ces animaux et chez les Tétrapodes, le cœur doit assurer la propulsion du sang dans deux circuits distincts: la grande circulation, qui irrigue le corps, et la petite circulation pulmonaire. Logiquement devraient exister deux pompes distinctes, mais, en fait, cette partition cardiaque ne se réalise que très lentement dans l’histoire des Vertébrés, au moins dans son aspect structural. Avec les Dipneustes, l’atrium unique des Poissons est cloisonné en cavité (oreillette) droite où se déverse le sang réduit, revenu de la grande circulation, et cavité gauche réceptrice du sang pulmonaire, hématosé. Le cloisonnement se prolonge, en partie, dans le ventricule du Dipneuste Lepidosiren , mais manque complètement dans le cœur des Amphibiens. Pourtant il a été reconnu que, fonctionnellement, les deux flux sanguins courent côte à côte, sans trop se mélanger, dans le ventricule unique d’où ils sont distribués, selon leur teneur en oxygène, soit aux organes, soit aux poumons. La séparation fonctionnelle existe déjà bien avant la partition anatomique qui ne s’effectuera qu’avec les Crocodiliens, les Oiseaux et les Mammifères dont le cœur est partagé en deux pompes séparées, pourvues chacune d’une oreillette et d’un ventricule.

La branchie de tous les Poissons, à quelques exceptions près, assure toujours les besoins en oxygène de l’animal; on ne peut déceler d’évolution de son efficacité. Le poumon, en revanche, se perfectionne nettement des Amphibiens aux Reptiles, aux Oiseaux et aux Mammifères. Chez les premiers, l’organe, trop rudimentaire, fournit moins de 50 p. 100 de l’oxygène nécessaire chez les Urodèles, plus de 50 p. 100 chez les Anoures; une indispensable respiration cutanée comble le déficit. Avec les Reptiles, Tortues et Crocodiliens, et surtout avec les Oiseaux et les Mammifères, le poumon devient le seul pourvoyeur d’oxygène grâce à un accroissement considérable de la surface d’échanges gazeux. Chez les Reptiles et les Mammifères, cette augmentation résulte de la prolifération d’alvéoles branchés sur un système complexe de conduits trachéens. Les Oiseaux réalisent un organe comportant des canaux comme dans un circuit sanguin (capillaires aériens), et, malgré son faible volume relatif, ce poumon assure les énormes dépenses métaboliques du vol grâce à son système d’extraction de l’oxygène de l’air.

7. Émancipation

L’étude des autres appareils des Vertébrés peut s’insérer dans l’analyse d’un processus évolutif, celui d’émancipation. Comme tout être vivant, le Vertébré dépend du milieu extérieur qui lui fournit l’eau, les ions minéraux, des substances organiques, la lumière, les calories, etc., indispensables à son fonctionnement. Cette dépendance, très directe chez les formes tout à fait inférieures, tend à s’atténuer au cours de l’évolution vers les formes supérieures. Le perfectionnement d’organes déjà présents chez les premiers Vertébrés, l’apparition de fonctionnements nouveaux permettent peu à peu aux animaux de se libérer de certaines sujétions physiques et chimiques du milieu, ou d’en atténuer l’emprise, ou encore d’en diminuer le nombre, en un mot, de s’émanciper.

Première composante de cette émancipation, la régulation osmotique existe déjà chez la lamproie (non chez la myxine), tandis qu’elle manque aux Invertébrés marins; cette fonction s’accompagne d’une régulation ionique déjà en œuvre chez bien des Invertébrés marins. Ces régulations, par des mécanismes actifs (qui consomment de l’énergie), maintiennent la pression osmotique du sang (et du milieu intérieur en général) et sa teneur en ions constantes et différentes de celles du milieu aquatique, marin ou d’eau douce, quelles que soient les fluctuations de ce milieu. Au contraire, les pressions osmotiques du milieu intérieur des Invertébrés marins et de Myxina sont celles de l’eau de mer.

Dans l’ensemble des Vertébrés non aquatiques, la pression osmotique du milieu intérieur se rapproche plus encore d’une valeur constante. Si, comme on le fait souvent, on l’exprime en fonction de l’abaissement du point de congélation ( 0C) par rapport à celui de l’eau pure (0 0C), ses valeurs s’établissent ainsi: — 1,8 à — 1,9 0C pour l’eau de mer; — 0,65 à — 0,70 pour les Téléostéens marins; — 1,85 à — 1,92 pour les Chondrichthyens, qui égalisent leur pression avec celle de l’eau de mer en concentrant l’urée dans le sang (urémie physiologique); — 0,45 à — 0,65 pour les Poissons d’eau douce; — 0,45 pour les grenouilles; — 0,55 à 0,58 pour les Mammifères. Cette fonction de régulation revient, chez les Poissons, non seulement au rein, mais aussi à la muqueuse pharyngienne, surface d’échanges faciles avec l’eau qui est un solvant. Avec la vie terrestre, l’air n’étant pas un solvant, toute la régulation-excrétion revient au rein; la peau permet, éventuellement, des mouvements d’entrée et de sortie de l’eau et du chlorure de sodium.

Si, dès les premières étapes évolutives, l’organisme vertébré isole son milieu intérieur du milieu aquatique, il en dépend par contre pour supporter le poids du corps, pour respirer, pour se reproduire. Les moins perfectionnés des Vertébrés tétrapodes, les Amphibiens, restent encore pour leur régulation, pour leur respiration et pour leur reproduction étonnamment tributaires de cette eau, qu’ils ont pourtant essayé de quitter. Égarés sur terre, ils ne s’éloignent guère, à l’exception de quelques formes désertiques en Australie, du milieu aquatique ou tout au moins humide. Il y a là très probablement une des causes du minime succès de la radiation adaptative du groupe. La respiration cutanée ne peut s’accomplir qu’au travers d’une peau perméable, donc maintenue humide par du mucus qui perd de l’eau par évaporation. Le rein fonctionne à peu près comme celui d’un Poisson d’eau douce et rejette de grandes quantités d’eau pour excréter, en solution diluée, l’urée. L’œuf doit être pondu dans l’eau; toutefois, pour cette fonction, certains Amphibiens parviennent à tempérer cet impératif et réalisent des modes de reproduction qui n’exigent que très peu d’eau libre ou, mieux encore, adoptent la viviparité (salamandre, par exemple).

Comparés aux Amphibiens, les Reptiles progressent remarquablement dans l’émancipation vis-à-vis du milieu aquatique. Leur respiration, exclusivement pulmonaire, élimine la fonction cutanée et l’évaporation à ce niveau. La peau des Reptiles (et des Oiseaux) est sèche, sans pour cela être totalement imperméable aux gaz. L’élimination prépondérante (modifiable selon les circonstances) de l’acide urique comme excrétat azoté permet une économie considérable d’eau urinaire, l’acide étant rejeté sous forme d’une pâte humide de cristaux. L’«invention» de l’œuf à développement terrestre, formant un embryon amniote, est un nouveau facteur de cette progression. À partir de cette étape, tout stade larvaire libre est supprimé. Pourvu d’annexes extra-embryonnaires qui permettent la nutrition, la respiration, l’excrétion de l’embryon, l’œuf n’exige plus qu’une humidité ambiante que lui assurent le sable, les débris végétaux, etc. Il faut souligner pourtant que, jusqu’aux Mammifères compris, l’embryon continue de se développer dans le milieu aquatique, celui du liquide amniotique.

Dans le domaine de l’excrétion, les Mammifères adoptent (ou conservent par rapport aux ancêtres?) la solution moins économique du rejet d’urée dissoute. Toutefois, leur rein, plus perfectionné que celui des Amphibiens (formation de l’anse de Henle), permet, à excrétion azotée égale, de concentrer cette substance, donc de dépenser moins d’eau. Leur développement embryonnaire échappe totalement aux derniers aléas du milieu grâce à la viviparité accompagnée de la formation du placenta qui met le fœtus sous le seul contrôle de l’organisme maternel (sauf chez les Monotrèmes et la quasi-totalité des Marsupiaux).

Les activités journalière et annuelle des Reptiles dépendent de la température extérieure; en saison froide, ils cessent toute activité et les régions circumpolaires leur sont interdites. Ce sont des poïkilothermes (température variable), mieux encore des ectothermes qui puisent les calories nécessaires à l’établissement d’une température interne optimale dans le milieu ambiant surtout, sans toutefois suivre passivement, comme on l’a longtemps cru, les fluctuations de la température externe. Ils peuvent en effet, par le jeu des conditions écologiques, maintenir un certain temps leur température interne aux alentours de l’optimum. Mammifères et Oiseaux accomplissent une nouvelle avancée sur la voie de l’émancipation en maintenant leur température interne constante (homéothermie) grâce au contrôle de centres nerveux encéphaliques et en tirant de leur nourriture ou de leurs réserves (endothermie) les calories nécessaires. En outre, ils s’isolent thermiquement, par une fourrure, une couche de lard ou un plumage. En cas de nécessité, ils rejettent les calories en excès, par voie pulmonaire ou cutanée.

Le métabolisme de base des Mammifères et des Oiseaux est plus élevé que celui des Reptiles et leur donne la possibilité d’une activité plus grande, plus soutenue. Cela exige une dépense accrue d’énergie, donc l’absorption d’une plus grande quantité de nourriture et corrélativement, chez les Mammifères au moins, un prétraitement digestif dans la bouche avec imprégnation de salive et mastication; celle-ci est rendue possible par une différenciation de la musculature des mâchoires plus poussée que chez les Reptiles et par une division du travail dans la denture entre incisives canines et dents jugales.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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